Comment va Fukushima ? Pour le premier anniversaire de la catastrophe nucléaire, les médias du monde entier enchaînent les reportages sur place. L'occasion de voir le site sous tous les angles et de faire le point sur l'état du site, de la pollution environnante et de la situation des populations locales.
SITUATION SUR LE SITE
L'exploitant a mis en place des webcams qui permettent de visualiser l'ensemble du site -les quatre bâtiments réacteur- en temps réel. Les journalistes enchainent les tournages aériens (malheureusement en japonais). En dépit de l'annonce, faite en décembre, de l'arrêt à froid des réacteurs endommagés, l'électricien Tepco ne parvient pas à rétablir une situation complètement normale. Il tient un journal complet de ses opérations à disposition d'un public averti.
Depuis mars 2011, les réacteurs n°1, 2 et 3 sont constamment refroidis par l'injection d'eau douce dans les cuves contenant les combustibles -environ 10 m3 par heure. Les moyens d’injection d’eau dans les cuves ont été fiabilisés. Ils permettent de maintenir la température du circuit primaire (RPV) aux alentours de 60° C pour les réacteurs n°2 et 3 et 30° C pour le réacteur n°1. Le circuit primaire n’est néanmoins pas étanche ; l’eau qui y est injectée est récupérée dans les parties basses des bâtiments. Quant aux piscines d'entreposage, elles sont désormais refroidies en circuit fermé et la température de l'eau y est maintenue à 20°C.
En décembre 2011, l'opérateur TEPCO a annoncé que la température dans ces cuves était inférieure à 100°C. C'est ce que l'on appelle l'arrêt à froid. Cependant, début février, la température au sein du réacteur n°2 a connu de nombreuses fluctuations, grimpant brutalement jusqu'à 70°C. En cause? Une trentaine de fuites dans le circuit de refroidissement provoquées par le gel de l'hiver nippon. L'opérateur a dû augmenter le débit de l'eau (passant à plus de 13 m3 par heure) et injecter de l'acide borique dans les cuves pour éviter toute réaction nucléaire. Le 28 février 2012, les caméras montraient une fumée s'échappant d'une conduite reliant les bâtiments entre eux.
L'autre problème majeur du site reste la gestion de l'eau radioactive, laquelle s'apparente au mythe de Sisyphe ! Selon Tepco, il y aurait 200000 m3 d'eaux contaminées sur le site, un volume qui ne cesse d'augmenter, notamment à cause de l'eau injectée en permanence dans les circuits de refroidissement et qui ressort contaminée. Pour l'heure, un millier de réservoirs ont été installés près du réacteur n°1 pour recueillir 165000 m3 d'effluents contaminés (photo). D'autres réservoirs sont actuellement en construction pour accueillir 40000 m3 supplémentaires, ainsi qu'un réservoir d'une capacité de 4000 m3 destiné à être enfoui dans le sol. Toutes ces installations seront remplies à l'automne. Et il faudra alors en installer de nouveaux.
Afin de limiter la dispersion de la contamination, le recouvrement du bâtiment réacteur n°1 a été achevé le 28 octobre 2011. Une opération similaire est étudiée pour les réacteurs n°3 et 4 dont les bâtiments sont les plus endommagés. Des rejets radioactifs gazeux dans l’environnement se poursuivent ; ils sont de l’ordre de 60 MBq/h soit 10 000 000 fois moins que l’activité rejetée au moment de l’accident.
Plus que jamais, le site reste sous haute surveillance. La catastrophe de Fukushima continue. Et même si le ministre français de l'énergie, Eric Besson, s'est montré particulièrement rassurant lors de sa visite à la centrale en février 2012, la Commission de sûreté nucléaire japonaise a été très claire : il faudra attendre au moins 2022 pour retirer les combustibles fondus dans les réacteurs. Et patienter trente années supplémentaires pour envisager le démantèlement du site.
SITUATION AUTOUR DE LA CENTRALE
La surveillance de l’environnement est coordonnée par les autorités japonaises et réalisées par différents acteurs, ONG comprises. Les différentes mesures sont détaillées dans le Comprehensive Monitoring Plan qui détaille les zones à surveiller, les analyses à mener sur la poussière, le sol, l'herbe, l'air, certaines plantes, …
Désormais, on trouve en majorité des césiums radioactifs disséminés dans l’environnement, les iodes ayant diminué sous l’effet de la décroissance radioactive (note IRSN 27/09/2011). Les césiums ont une durée de demi-vie de trente ans, ce qui signifie qu'ils auront perdu la moitié de leur radioactivité en 2042. Et qu'il faut compter environ dix périodes pour qu'ils ne soient plus du tout actifs, soit trois siècles. En mer, malgré les quantités importantes rejetées, la conjonction de deux grands courants marins à proximité du site a entraîné une dispersion très importante des radionucléides (note IRSN 26/10/11).
Fin février 2012, le Yomiuri Daily a publié la dernière mouture de la carte des relevés officiels de débits de dose à un mètre du sol. Il existe deux zones : une zone d'exclusion totale à 20 km autour de la centrale, ce qui représente une surface de 1250 km2, puis une seconde zone dite « d'évacuation étendue », soit 800 km2 supplémentaires, qui englobe les faubourgs de la ville d'Itate jusqu'à 50 km du site accidenté. Sur la carte, la zone "orange" (> 10 mSv/h à 1 m du sol) s'étend jusqu'à l'entrée d'Itate, à 35 km du site à vol d'oiseau. Au total, 2050 km2 de territoire sont contaminés. La zone la plus contaminée – à plus de 600 000 Becquerels au m² (Bq/m2) – fait environ 600 km², contre 13000 km2 autour de Tchernobyl.
Toutefois, il ne faut pas confondre surfaces et populations. Les Japonais ont évacué des zones moins contaminées qu'en ex-URSS. Au total, 150000 personnes (contre 270000 en Ukraine) ont été relogées. Au Japon, les autorités envisagent le retour d'une partie des populations japonaises à condition de décontaminer les sols, ce qui n'a pas été envisagé en Ukraine.
Pour les denrées alimentaires (feuilles de thé, abricots, viandes de bœuf et de sanglier, poissons, …), des analyses sont menées chaque semaine depuis mars 2011. Au total, sur 97 664 échantillons testés sur l’ensemble des 44 préfectures japonaises, 1 078 (1,1 %) présentent des niveaux de contamination supérieurs aux niveaux maximaux admissibles japonais. Les résultats sont actualisés chaque semaine.
Les résultats de mesure récents montrent la persistance d’une contamination des espèces marines (poissons principalement) pêchées sur les côtes de la préfecture de Fukushima. Les organismes benthiques et filtreurs ainsi que les poissons au sommet de la chaine alimentaire sont, dans la durée, les plus sensibles à la pollution au césium.
Le 30 aout 2011, la loi encadrant la décontamination et la gestion des déchets afférents est entrée en vigueur. A l’exception des zones où l’exposition est inférieure à 20 mSv/an, le gouvernement japonais porte la responsabilité de la décontamination. Ailleurs, celle-ci est à la charge des municipalités. Des documents détaillent les spécificités techniques de ces travaux de décontamination qui touchent le milieu urbain, agricole et forestier.
Les orientations en matière d’indemnisation ont été fixées par le Dispute Reconciliation Comittee for Nuclear Damage Compensation. L’indemnisation des populations et des professionnels est en cours ; à cet effet un fonds spécifique a été constitué et doté de 6 milliards d’euros. Un bilan des indemnisations versées par Tepco a été publié au 18 décembre 2011.
L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire vient de publier son rapport sur les rejets radioactifs lors de l'accident mais aussi des contaminations dans la zone des retombées radioactives. De même, la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) a élaboré un dossier Spécial Japon à partir de ses propres mesures, réalisées sur place. Et ses interprétations sont beaucoup plus alarmistes.
SITUATION SANITAIRE
Il est beaucoup trop tôt pour évaluer les conséquences sanitaires de l'accident de Fukushima. D'une part parce que la relation dose-effet est difficile à établir, d'autre part parce que la radioactivité, à faibles doses, n'a un impact que sur le long terme. Dans tous les cas, tout dépend des doses de radioactivité reçues. Celles-ci sont mesurées par différents organismes -officiels ou indépendants- à partir des éléments radioactifs cartographiés dans l'environnement. Voici une carte de l'IRSN établie à partir des mesures du département d'Etat américain réactualisées en octobre 2011. L'ONG française Criirad a mené des campagnes de mesures indépendantes au lendemain de l'accident.
Quoiqu'il en soit, la guerre des interprétations a commencé. Le scientifique américain Franck Von Hippel, docteur en physique de l'université de Princeton, table sur environ 1000 morts par cancer dans les années à venir. Tandis que pour Wolfgang Weiss du Comité scientifique onusien sur les effets des rayonnements ionisants, l'impact sanitaire de l'accident devrait être « très faible ».
Dans les premiers jours qui ont suivi l'accident, le radioélément le plus dangereux est l'iode-131 qui vient se fixer sur la thyroïde. Heureusement, ce dernier a une durée de vie (ou période radioactive) très courte : il perd la moitié de sa radioactivité au bout de huit jours et n'est plus dangereux au bout de 80 jours. Durant cette période, à cause de leur croissance, les plus vulnérables sont les enfants qu'il faut immédiatement éloigner de toute zone contaminée.
En aout 2011, des chercheurs de l'Université Hiroshima ont publié les résultats de leurs analyses: 1149 enfants issus de la province de Fukushima avaient de l'iode radioactif dans leur glande thyroïde. D'autres analyses ont montré que 45% des enfants testés en mars 2011 (au total 1080 individus) avaient incorporé de l'iode-131. En novembre, cet élément radioactif figurait dans 104 des 1500 échantillons d'urine prélevés auprès d'enfants de moins de six ans vivant à Minamisoma. Une énorme campagne de mesures est actuellement en cours sur les 360000 enfants âgés de 0 à 18 ans de la préfecture de Fukushima. Celle-ci devrait prendre fin en mars 2014.
Pour les ouvriers qui ne cessent de travailler sur le site de la centrale, Tepco surveille leurs doses d'exposition. Environ 18000 liquidateurs ont travaillé sur le site. Souvent pour de courtes périodes.
Quant aux éleveurs de la zone d'exclusion, ceux-ci refusent d'abandonner leurs troupeaux à leur sort, comme le montrent ces images rapportées par le quotidien britannique The Guardian. Le gouvernement a ordonné d'euthanasier les bêtes condamnées à vivre dans la zone d'exclusion. Mais certains éleveurs, comme Yukio Yamamoto, refusent d'obtempérer. Tous les deux jours, il vient prendre soin de ses vaches.
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Le blog de Fukushima (certaines parties sont en allemand).
De Laure Noualhat