Alors que l’attention est focalisée sur la sûreté des centrales nucléaires, des experts pointent du doigt les failles de l’usine de retraitement des combustibles nucléaires de La Hague, qui concentre la plus grande radioactivité d’Europe. Revue des points qui posent question.
8h58, jeudi 8 décembre 2011. A l’usine de retraitement des combustibles nucléaires de la Hague, c’est l’accident. Un caisson de 4 tonnes contenant des matières combustibles fuit et tombe, endommageant des installations électriques. Un incendie démarre. Des matières gazeuses risquent de s’échapper de l’atelier. Sept salariés d’Areva sont contaminés, l’un d’eux est grièvement blessé. Le Plan d’urgence interne et le plan particulier d’intervention sont déclenchés respectivement par Areva et le Préfet. Les 1 400 habitants de Beaumont-Hague, le village qui est situé à 2 ou 3 km du site, doivent être confinés. Puis ceux des villages alentours, dans un rayon de 5 km. Pourtant, dans les rues, aucun affolement. La plupart des commerçants restent même ouverts. Heureusement, ce n’est qu’un exercice grandeur nature qui a lieu environ tous les 3 ans. Mais tout de même : « le système d’alerte est-il vraiment efficace ? On a assisté à un cafouillage total. Les médias n’ont reçu que 2h30 plus tard le communiqué de la préfecture précisant que c’était une alerte. Si cela c’était passé dans la réalité ce serait très grave », commente Clara Osadtchy, conseillère régionale EELV de Basse Normandie et membre de la CLI (commission locale d’information) Areva-La Hague. Dans le premier bilan à chaud de l’exercice, dont les conclusions définitives ne seront cependant pas tirées avant février 2012, la Préfecture souligne, elle, que « les principaux objectifs fixés par les scénaristes pour cet exercice ont été remplis » : « les systèmes d’alerte de la population ont fonctionné normalement et la gendarmerie a joué son rôle de contrôle des accès à ce périmètre ». Mais « cet exercice a également été l’occasion de mettre en lumière des points qui peuvent être améliorés, en matière d’information presse, par exemple », reconnaît-elle.
Le site concentrant la plus grande radioactivité d’Europe
Quelques jours seulement après l’action de Greenpeace, qui s’était invité dans deux centrales nucléaires (Nogent-sur-Seine et Cruas) pour dénoncer « la vulnérabilité » des installations nucléaires aux intrusions humaines, cet exercice est passé relativement inaperçu. Il concernait pourtant le site concentrant la plus grande radioactivité à l’échelle européenne (voir article lié). Et si l’attention des médias est aujourd’hui portée davantage sur la sécurité et la sûreté des centrales nucléaires françaises, l’usine de la Hague ne doit pas être négligée. « La Hague concentre deux risques : à la fois de vulnérabilité, notamment au niveau des nombreux convois (2 par semaine) qui ont lieu entre l’usine de retraitement et l’usine de fabrication de Mox à Marcoule, dans le Gard, et d’inventaire puisqu’elle concentre l’équivalent d’une centaine de réacteurs dans les piscines accueillant les combustibles irradiés, ainsi qu’une soixantaine de tonnes de plutonium et des déchets de haute activité sous forme liquide (avant vitrification), qui peuvent facilement se disperser », précise Mycle Schneider, consultant dans le nucléaire et lauréat du prix Nobel alternatif en 1997.
En 2001, à l’époque des attentats du 11 septembre, celui-ci avait déjà pointé du doigt les faiblesses de l’usine, notamment en cas de menace terroriste aérienne, avec le crash d’un gros porteur par exemple, alors que les règles fondamentales de sécurité définissent deux types d’avions jugés « représentatifs » mais bien plus petits… Pour Areva cependant, « tout a été étudié » et il n’est pas possible qu’un avion de chasse tombe « directement » sur les piscines, recouvertes d’un simple toit en tôle, en raison de la différence de hauteur des installations qui l’entourent. Mais là encore Mycle Schneider insiste sur le fait que d’autres hypothèses doivent absolument être envisagées, comme l’explosion d’un cargo transportant du gaz naturel près de la côte…« La leçon n°1 était : il faut baisser la concentration en radioactivité du site. Au lieu de ça, on a augmenté les capacités de stockage des combustibles en piscine », s’étonne l’expert. 10 ans après, une autre leçon, issue de l’accident de Fukushima cette fois, serait de regarder de plus près au stockage à sec des combustibles : « alors que l’on craint que le bâtiment où sont stockés les 135 tonnes de combustibles usés de la centrale japonaise ( manque le verbe), ceux qui sont stockés à sec n’ont pas bougé, même si le site a été inondé », souligne-t-il photo à l’appui.
Des questions en suspens
Mais pour Simon Huffeteau, le chef de la division de Caen à l’ASN (autorité de sûreté nucléaire), le site présente cependant un niveau de sûreté « globalement satisfaisant »*. Après avoir relevé une sous-déclaration des « évènements significatifs » à l’autorité de sûreté liés à une « différence de procédure » entre les deux parties et un manque d’identification des équipements essentiels à la sûreté du site, les problèmes notifiés dans le rapport 2010 de l’ASN (voir document lié) seraient quasiment réglés, assure-t-il. Ce que demande quand même à voir FO, qui estime que « ces deux ou trois dernières années, de plus en plus de discussions ont eu lieu concernant les incidents mineurs ». Pour autant, selon Simon Huffeteau, le site « bénéficie d’un traitement de faveur avec plus d’une inspection de l’ASN chaque semaine quand les centrales n’en ont que 15 à 20 par an (58 inspections en 2010 dont 10 inopinées, ndlr) auxquelles il faut ajouter cette année 6 inspections de 3 jours chacune dans le cadre de l’audit des sites nucléaires prioritaires suite à l’accident de Fukushima ».
Suite à l’accident japonais justement, les commissions locales d’information (CLI) de la Manche (EPR de Flamanville, usine de retraitement Areva et centre de stockage de l’Andra) ont fait figure de pionnier en se regroupant pour « identifier les faiblesses des installations manchoises » et « établir un diagnostic prospectif, analysant de façon transversale le niveau de sûreté » des installations du département (voir document lié). Y ont été « recensées toutes les questions sans tabou », reconnaissait sur France 3, Yannick Rousselet chargé des questions énergies chez Greenpeace et membre des CLI lors de la présentation du document le 30 novembre dernier, tandis que l’AFP confirmait : « les élus de la Manche, département le plus nucléaire de France, posent désormais des questions que seuls les anti-nucléaires soulevaient avant Fukushima ». Parmi celles-ci : « quelle est la résistance du toit des piscines de la Hague compte tenu du risque d’accumulation de neige ? », « un A320 peut-il viser et toucher une piscine ? », « quels sont les moyens passifs pouvant être mis en œuvre permettant de rétablir les fonctions de sûreté sur les cuves de stockage des produits de fission en l’absence d’alimentation électriques sur ces fonctions ?» Des questions extrêmement précises auxquelles Areva devra répondre avant la parution d’un livre blanc sur le sujet en 2012.
La problématique de la sous-traitance
Un point cependant reste encore peu évoqué : celui pourtant crucial de la sous-traitance dans cette usine qui compte aujourd’hui 1 000 sous-traitants –souvent des permanents contrairement aux centrales- parmi les 5 000 travailleurs du site. « Areva utilise la sous-traitance afin de minimiser le coût du travail, d’empêcher les salariés de s’organiser et de s’exonérer de toute responsabilité sociale sous couvert d’un combat commercial », affirme ainsi Philippe Launay, secrétaire FO de Areva-La Hague et délégué syndical Areva NC. Un projet de sous-traitance de la distribution et production d’énergie à un groupement d’intérêt économique créé avec Veolia, Dalkia, a en effet été approuvé par l’ASN avec quelques réserves, mais il suscite particulièrement l’inquiétude, non seulement au sein des syndicats mais aussi de la CLI (qui a émis un avis défavorable unanime), du CHSCT et de l’inspection du travail (mise en demeure). Le 5 juillet 2011, le tribunal de grande instance de Paris a d’ailleurs annulé le projet, le qualifiant de « générateur de risques psychosociaux importants et de risques techniques et industriels considérables, (et) de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés ». Depuis, Areva a fait appel estimant que « l’entreprise ne peut pas accepter qu’une telle décision de justice laisse à penser que son projet puisse être une source de danger », mais Philippe Launay veut croire que le jugement sera confirmé. « Il s’agit du secteur qui a en charge toute l’alimentation électrique, le refroidissement des piscines et de l’air, autrement dit le centre nerveux de l’usine ! Et il faut une quinzaine d’années à un salarié pour être autonome dans ce secteur là, alors que la moyenne de turn-over dans la sous-traitance est de 4/5 ans ! », s’insurge-t-il, ajoutant que la formation des sous-traitants lui apparaît relativement « insuffisante ». Alors qu’au niveau national, Areva vient d’annoncer un « plan d’orientation stratégique » qui se traduirait par un gel des embauches dans les fonctions support (soit 200 à 250 départs « naturels »/an), des salaires (pour 2012) et des investissements (touchant notamment l’extension du site de La Hague), les syndicats craignent les conséquences de cette gestion des ressources humaines sur la sûreté du site.
*sachant que ce qui est du domaine de la menace terroriste est hors de sa compétence.
Béatrice Héraud
source : http://www.novethic.fr/novethic/rse_responsabilite_sociale_des_entreprises,securite_industrielle,plongee_c_ur_centre_retraitement_dechets_hague,136186.jsp?utm_source=newsletter&utm_medium=Email&utm_content=novethicInfo&newsletter=ok